Du Fiat Standard vers le Bitcoin Standard, chronique d’une Renaissance économique - Partie 1
Temps de lecture: 7 minutes ⌛
Partie 1 : L’avènement du fiat ou la financiarisation du monde
Théo Mogenet est Professeur à Kedge Bordeaux, enseignant Bitcoin et des théories économiques de l'École Autrichienne, mais aussi fondateur de l'Institut Bitcoin. Cette semaine Théo publie sur notre blog, le premier article d’une série intitulée “Du Fiat Standard vers le Bitcoin standard, chronique d'une renaissance économique”.
Il fut un temps où la finance était une activité productive visant à mettre en relation des détenteurs de capitaux (épargnants) et des demandeurs de capitaux (entrepreneurs).
Tout ceci changea après le 15 août 1971 lorsque le Président américain Richard Nixon annonça la fin de la convertibilité du dollar US. Depuis les accords de Bretton-Woods, toutes les monnaies étaient indexées sur le dollar, qui lui-même était « théoriquement » convertible en or à 35$/once. Je dis « théoriquement », parce qu’en pratique les États-Unis n’avaient pas suffisamment de réserves aurifères pour garantir la conversion des dollars en circulation.
Les observateurs avisés de l’époque, comme l’économiste français Jacques Rueff, tentèrent de dénoncer ce système délétère avec l’espoir d’en sortir. C’est sur ses conseils que le Président de Gaulle, à l’instar du Chancelier Adenauer, commença à demander la conversion des dollars détenus par la France. Alors dans l’incapacité d’honorer les engagements des États-Unis, Nixon décida unilatéralement d’annuler toute possibilité de conversion des dollars et nous propulsa dans un pur système fiat. Du fait de l’importance du parapluie militaire américain dans le contexte de la Guerre Froide, leurs alliés ne bronchèrent pas et acceptèrent ces nouvelles règles du jeu.
Bien que cette transition d’un système monétaire basé sur l’or vers un système fiat puisse paraître anodine, elle est pourtant lourde de conséquences, notamment pour l’industrie financière.
En effet, l’avènement de la monnaie fiat s’est accompagnée de l’inexorable dévaluation de la monnaie et a donc fécondé une demande croissante pour des réserves de valeur alternatives. Autrefois, pour préserver son pouvoir d’achat dans le temps il suffisait d’épargner en monnaie : comme l’expansion de la masse monétaire était à un certain degré limité par notre capacité d’extraction aurifère, elle-même très stable, les entrepreneurs ne pouvaient inciter les épargnants à investir qu’au coût de taux d’intérêts réels élevés.
Sitôt l’or ôté de l’équation tout cela changea. Les banques eurent la possibilité de satisfaire la demande de capital en octroyant toujours plus de crédit et sans être limitées par la nécessité de garder des réserves, surtout dans un contexte où les banques centrales seraient là pour les refinancer coûte que coûte. Fini les taux d’intérêt réels élevés, et avec eux la monnaie à cours légal comme réserve de valeur. Pourtant, le besoin de transport temporel de la valeur n’avait pas disparu pour autant. L’industrie bancaire répondit à cette demande par une offre pléthorique de produits financiers exotiques et de mécanismes de titrisation plus obscurs les uns que les autres.
Or, comme financiariser des crédits immobiliers (titrisation des prêts hypothécaires), créer des produits indiciels (ETF, ETP), structurer des produits de crédit complexes (CDO, ABS, etc.) et vendre des assurances contre le risques de défaut de ces mêmes crédits (CDS) s’est avéré bien plus lucratif que la pratique bancaire historique, le secteur financier n’a cessé de grossir au détriment de l’économie réelle. Ceci est d’autant plus vrai que la financiarisation est comme le marché de la cocaïne, c’est un marché où l’offre créée sa propre demande : l’émission de produits financiers offre une opportunité d’hypothèque qui conduit à une croissance de la masse monétaire, donc à une dévaluation accélérée de la monnaie, ce qui entretient ainsi la demande pour des réserves de valeur (financiarisées).
Sans vous décrire par le menu la pente glissante ainsi mise en place par ce que Paul Volcker avait un jour appelé le « non-système », je ferai remarquer que c’est là le point de départ de toute la dynamique qui conduit jusqu’à l’industrie financière obèse d’aujourd’hui, qui privatise les gains et socialise les pertes, prend en otage le politique, et ponctionne de la valeur sur le dos de l’économie productive.
Le régime fiat a sorti la finance de son orbite autour de l’économie réelle pour en faire un trou noir dont la force gravitationnelle capture toutes les ressources productives des sociétés. Dans le système fiat, les maisons ne sont plus des habitations mais deviennent des tirelires, les assurances ne sont plus achetées mais sont vendues (obligation de rentabilité oblige), les doctorants en physique cessent d’observer les galaxies et codent des trading bots, les avocats de défendent plus mais déposent des brevets et structurent des opérations de rachat financées par levier, les banquiers écrivent leur propre régulation, et l’épargnant meure pour laisser place à l’investisseur.
Le gaspillage de ressource ainsi réalisé ne nous est cependant pas apparent tous les jours car l’enchaînement dévaluation-demande de réserve de valeur-financiarisation-hypothécation-dévaluation que nous avons décrit plus haut garantit l’inexorable hausse du prix nominal des actifs, et nous donne donc l’impression que cette immense gabegie de capital générerait un accroissement de notre prospérité. Ne vous laissez cependant pas berner par cette magnifique illusion d’optique. Toute cette financiarisation n’ajoute rien à notre richesse collective. C’est une sorte de réaction immunodépressive déclenchée par le fiat et qui fait que les parties constituantes d’une société (nous) se mettent à détruire de l’intérieur le corps social qui les accueille.
Aussi, en challengeant le statu quo et en offrant une forme monétaire alternative dotée d’une offre totalement finie, Bitcoin nous donne l’opportunité de remettre la finance au service de l’économie et d’enrayer la financiarisation effrénée dans laquelle nous sommes engagés depuis plus de quatre décennies.
Comme le dit si bien l’adage : « fix the money, fix the world ».
Théo Mogenet,
PDG et fondateur de l’Institut Bitcoin,
Le 15 mai 2022