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Inventé début 2015, le Lightning Network est un système de paiement en surcouche qui résout le problème de scalabilité du réseau bitcoin, c’est–à-dire sa capacité à traiter un nombre croissant de transactions. Le Lightning Network permet des microtransactions instantanées et illimitées de pair à pair avec des frais minimes. Nous avons eu l’honneur de nous entretenir en exclusivité avec Thaddeus Dryja, l’un des deux inventeurs du Lightning Network.
Vous êtes le co-inventeur du Lightning Network avec Joseph Poon, et on vous considère comme l’un des pères fondateurs des solutions de layer 2 sur Bitcoin. Quel était le problème que vous tentiez de résoudre lorsque vous avez lancé le Lightning Network avec Joseph Poon ?
Thaddeus : C'était la scalabilité. Fin 2014 - début 2015, certains membres de la communauté évoquaient la possibilité d'élargir la taille des blocs de transactions bitcoin. Ce sujet a fait couler beaucoup d’encre. Joseph Poon et moi-même pensions que même si l’on augmentait la taille des blocs, la scalabilité ne serait pas assurée. Donc on s’est dit qu’il fallait qu’on trouve une solution, un nouveau modèle afin d'accroître la scalabilité sans avoir à publier toutes les transactions sur la blockchain.
D'où vient l'idée originale du réseau Lightning Network, était-il inspiré d'un design existant ?
Thaddeus : Les idées de canaux de paiement et de Hashed TimeLock Contract (HTLC) existaient déjà. Néanmoins, l’idée de canaux formant un réseau qui acheminent des paiements de manière complètement trustless fut en grande partie une idée de Joseph (Poon). J’ai plus tard trouvé le nom de “Lightning Network”. Mais il y avait également d’autres personnes qui travaillaient sur des solutions similaires (Christian Decker, Alex Axelrod…) Le Lightning Network s’est inspiré de certaines solutions qui existaient auparavant en les combinant et en ajoutant un meilleur modèle de canaux.
Comment as-tu rencontré Joseph Poon et comment avez-vous commencé à travailler ensemble sur ce projet ?
Thaddeus : J’ai rencontré Joseph à San Francisco en 2014. J’étais intéressé par Bitcoin et dès 2012 j’ai décidé qu’il fallait que je travaille dessus. Je suis donc allé à San Francisco en 2013 car je me disais que c'était l’endroit où il fallait être pour la tech et les startups. Et au bout de quelques jours, je me suis rendu compte que personne ne connaissait Bitcoin. Je suis donc rentré chez moi pour m’inscrire à l’université afin de réaliser un PhD en cryptographie pour mieux comprendre Bitcoin. Un an plus tard, je suis retourné à San Francisco. C’est à ce moment-là que les bitcoin meetups ont commencé à fleurir. J’ai donc décidé de rester dans la Silicon Valley. Toutes les semaines il y avait un bitcoin meetup dédié aux développeurs et c’est là où j’ai rencontré beaucoup de monde, dont Joseph avec qui, j’ai par la suite, commencé à parler du réseau Lightning.
Avez-vous des nouvelles de Poon ? Comment va-t-il ?
Je le vois toujours de temps en temps. Néanmoins je ne sais pas sur quoi il travaille en ce moment. Il a toujours été un peu plus discret que moi. Même quand on travaillait ensemble sur Lightning, je ne connaissais pas son numéro de téléphone et je n’ai jamais su là où il vivait.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour finaliser le livre blanc ?
6 mois à peu près. Ça a été assez rapide parce que l’on était très motivé.
Quels sont les plus grands défis pour le Lightning dans un avenir proche ?
Il y en a beaucoup mais l’un des challenges les plus importants a été lorsque je suis allé au Salvador. Je me suis rendu compte que très peu de personnes utilisent réellement le réseau Lightning ou alors ont un wallet custodial et ne détiennent pas les clés privées. Pourquoi ? Peut-être parce que l’expérience utilisateur avec le Lightning est difficile ? Je pense qu’il est important de construire un réseau accessible pour tout le monde et sans intermédiaire car si vous n’ouvrez pas vos propres channels ou que que vous ne détenez pas vos clés privées, votre outil n’est guère mieux que Coinbase.
Après votre licence en génie électrique et informatique, vous avez fait un master en arts plastiques, sur la photographie. Puis vous avez travaillé pendant presque un an comme daguerréotypiste ! Qu'est-ce qui vous a motivé à changer de spécialité ?
Je ne voulais pas travailler pour l’industrie de la défense, construire des bombes ou des trucs comme ça. J’ai donc étudié la photographie mais c’était un peu de la triche car je construisais une caméra. Donc c’était de l’art mais avec beaucoup d'ingénierie.
Je suis tombé sur une interview de vous en japonais. Comment avez-vous appris à parler couramment cette langue ?
Après mes études, j’ai enseigné dans une université au Japon. J’ai juste appris sur le tas. Le Japon a toujours été un grand hub pour Bitcoin et les cryptomonnaies en Asie.
Avez-vous anticipé l'évolution actuelle du LN (vitesse de déploiement, adoption par les utilisateurs, adoption par les développeurs, taille du réseau) ?
J’avais anticipé certaines choses mais pour d’autres, pas du tout. Je pensais dès le départ que les plateformes d’échanges allaient être les premiers à utiliser le réseau Lightning alors qu'en réalité, certaines l’utilisent mais ça reste marginal. Cela fut une surprise pour moi ! Je pensais que les exchanges allaient ouvrir des canaux avec les utilisateurs et finalement ça ne s'est pas passé comme ça, bien que je trouve que c’est le cas d’usage parfait. Mais il faut croire que les utilisateurs ne s’inquiètent pas sur le fait que les exchanges puissent se faire hacker. Du coup, le réseau Lightning est plus utilisé pour le transfert de paiements entre particuliers alors que ce n’était pas comme ça que je voyais la chose. Ce cas d’usage est beaucoup plus difficile à appliquer je trouve.
Concernant le développement du réseau, l’une des critiques majeures dès le départ concernait le fait que certains nœuds centraliseraient le réseau. Il est clair que le Lightning Network ne sera pas un réseau uniforme. Certains noeuds auront plus de canaux que d’autres. Cela est inévitable. L’important reste la sécurité. En cas de présence d’un mauvais acteur, il est possible d'isoler ce nœud en fermant le channel avec lui de manière rapide et sans coût. De plus, cette centralisation n’occasionne pas de risques majeurs, beaucoup moins que la centralisation générée par l’utilisation d’applications custodiales comme Coinbase ou de Binance. Néanmoins, nous devons minimiser l'influence des gros nœuds.
Que pensez-vous de TARO et de RGB, construits au-dessus de Lightning ?
Je ne sais pas si nous avons besoin de nouveaux tokens. Après si des personnes pensent que nous devons avoir ça sur Bitcoin, pourquoi pas. Mais généralement dans les projets avec des tokens, il y a toujours un problème de centralisation et de confiance. Bitcoin offre un réseau ultra sécurisée pour échanger de la valeur de façon décentralisée. Néanmoins, si le token ou stablecoin utilisant ce réseau souffre d’un problème de confiance, je ne pense pas que tout ça en vaut la peine. Je préfère me concentrer sur des applications autour du paiement sur Bitcoin et continuer de travailler sur la confiance autour de Bitcoin.
Sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
En ce moment, je passe la majeure partie de mon temps sur UtreeXO, qui est également une solution de passage à l'échelle pour Bitcoin qui vise à rendre l’utilisation d’un nœud complet plus facile et rapide. Le peu de temps qu’il me reste je le passe sur les Discreet Log Contracts (DLCs), qui sont un type de contrat intelligent sur Bitcoin. Il y a certaines startups qui travaillent sur les DLCs et j’essaye de les aider dans leurs recherches.